Compte tenu du délai d’examen, les remarques sur le nouveau projet de texte constitutionnel ne pourront pas être exhaustives et se borneront aux aspects qui semblent les plus importants comme, éventuellement, sur les imperfections qui peuvent être assez aisément corrigées. Faute de temps encore, l’effort est surtout centré sur les chapitres 4 à 8 qui feront la réalité du fonctionnement quotidien de la Constitution.
On se permettra de relever en premier lieu, et à titre préalable, que ce texte semble infiniment meilleur que le premier projet examiné à l’automne dernier. En particulier, les rédacteurs ont clairement compris et exprimé la nécessité de ne pas diluer le pouvoir et de renforcer la situation du gouvernement et notamment du Premier Ministre.
Au-delà, naturellement, la présente note n’entend pas souligner l’ensemble, heureusement vaste, des propositions excellentes et des rédactions appropriées et s’attachera seulement, au contraire, à celles qui paraissent moins adaptées.
Chapitre 4
Article 52
Il n’est pas très bon de dire que le mandat est de quatre ans car, du fait de possibles dissolutions, la date des élections générales peut devenir durablement aléatoire et, éventuellement, se situer à un moment techniquement inopportun (par exemple au mois d’août). C’est pourquoi il serait peut être sage d’envisager, comme cela se fait dans beaucoup de pays, que l’assemblée est élue non pas pour 4 années mais que les élections ordinaires ont lieu au mois de (février ou mars ou septembre ou octobre) de la quatrième année suivant celle des élections précédentes.
De cette manière, même après une dissolution et quitte à ce que certaines législature ne fassent pas tout à fait quatre ans, le rythme redevient normal et les élections générales ont toujours à peu près lieu à la même date.
Article 54
Dès cet article, comme dans d’autres, les délais sont inutilement longs, ce qui, fatalement, peut provoquer des querelles de légitimité ainsi qu’une paralysie gênante des pouvoirs publics. Qu’on songe à la dénonciation périodique, aux Etats-Unis, de la célèbre “lime-duck period” qui paralyse le pays entre l’élection du Président en novembre et son entrée en fonctions en janvier.
Pour les élections ordinaires, une nouvelle majorité peut apparaître qui laisserait l’ancienne en place pour près de deux mois. C’est notablement trop et, surtout, ce n’est justifié par aucune considération d’évidence. Trente ou quarante jours devraient largement suffire. En revanche, le délai de dix jours minimum peut être insuffisant si des résultats sont contestés et peuvent avoir une influence sur la définition de la majorité parlementaire.
Aussi serait-il sans doute plus approprié de prévoir que les élections générales ordinaires ont lieu au cours d’un mois précis, comme il est précisé à propos de l’article 52, et qu’elles doivent avoir lieu au moins quinze jours avant l’expiration du mandat de l’assemblée sortante.
En ce qui concerne les élections consécutives à une dissolution les délais sont encore plus abusivement longs. Lorsqu’il y a dissolution, c’est généralement à la suite d’une crise, les citoyens la connaissent et n’ont pas besoin de très longtemps pour trancher le conflit. En revanche, laisser la pays sans Parlement pendant deux mois au moins et trois au plus peut être extrêmement grave. La Constitution française prévoit que ces élections ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. C’est largement suffisant. On peut aller un peu au-delà mais certainement pas plus de soixante jours sauf à faire durer délibérément la crise.
Article 65
Les votes à bulletin secret devraient être limités aux élections nominatives. Dans tous les autres cas, y compris évidemment l’investiture du Premier Ministre et du gouvernement, le vote doit être impérativement public et on ne doit pas laisser à l’Assemblée le pouvoir d’en décider autrement par une loi qui pourrait rendre service à un moment à la majorité.
Article 66
Pour éviter toute discussion inutile et toute querelle d’interprétation dans le futur, les alinéas 4, 5 et 6 devraient purement et simplement préciser les nombres puisque le total de l’effectif est fixé par la Constitution: la majorité absolue de l’Assemblée = 51 membres au moins, les deux tiers = 66 (ou 67?) membres au moins, les quatre cinquièmes = 80 (ou 81?) membres au moins. Il faut résoudre ces questions de détail avant qu’elles ne se posent car si elles devaient se poser un jour ce serait forcément dans un contexte très conflictuel.
Article 69
Le second alinéa de l’article devrait être un peu plus précis: un député condamné, par exemple, pour une contravention au code de la route ne doit pas être privé de son mandat! Or la rédaction actuelle aboutirait à ce résultat pour le moins excessif car il peut être légitimement “condamné par une juridiction” à payer une simple amende.
Chapitre 5
Article 73
Même remarque qu’auparavant sur la longueur du délai.
Article 74
Même remarque qu’à propos de l’article 69 sur le 2).
Chapitre 6
Article 81
L’investiture du Premier Ministre doit suffire. Si, ensuite, il compose un gouvernement qui ne convient pas au Parlement, le Parlement peut toujours le renverser. En revanche, en exigeant que l’ensemble du gouvernement soit soumis au vote des députés d’une part on risque d’accroître les difficultés et de provoquer des crises insolubles comme en ont connues la France et l’Italie, d’autre part on donne une légitimité personnelle aux ministres, éventuellement contre le Premier Ministre, ce qui n’est pas sain car le chef du gouvernement ne pourra plus vraiment conduire l’équipe.
Article 84
Les mots “according to the law” dans le premier alinéa sont superflus. Au nom de la séparation des pouvoirs mais aussi au nom de la souplesse, c’est au chef du gouvernement qu’il revient de décider quels ministères il crée. Comme tous les actes de sa fonction, il le fait sous le contrôle du Parlement qui peut le renverser à tout moment. Cela suffit.
Article 87
La dernière phrase de l’article ne semble pas appropriée. Ce n’est pas le rejet du projet qui entraîne la chute du gouvernement. C’est le chute du gouvernement qui entraîne le rejet du projet. En effet, tout l’intérêt de cette procédure, qui existe sous des formes variées en Allemagne, en France ou en Espagne, réside précisément en ceci que lorsque le gouvernement le décide, ce n’est plus sur le projet que portent la discussion et le vote, c’est sur la survie du gouvernement. C’est donc bien d’un vote de censure qu’il s’agit, qui doit être acquis à la majorité absolue, et non plus du vote ordinaire d’une loi qui peut être rejetée à la majorité simple. Faute d’une telle correction, le dispositif ne présente pas grand intérêt et risque, en revanche, de favoriser l’instabilité gouvernementale.
Au-delà, on ne saurait trop recommander l’adoption du système en vigueur en Allemagne et en Espagne, qui contraint les auteurs d’une motion de censure à faire figurer le nom de celui qui deviendrait automatiquement Premier Ministre en cas d’adoption de la motion contre le gouvernement en place. Ce système a l’avantage considérable de prémunir contre des majorités de circonstance, hétérogènes et d’accord seulement pour faire tomber un gouvernement mais incapables de le remplacer.
Ou il existe une majorité de substitution et elle pourra opérer le changement, ou il n’existe pas de majorité de substitution et il n’est pas bon que le changement s’opère car il ne déboucherait que sur une crise sans profit pour le pays.
Chapitre 7
Article 94
L’initiative des lois, dans le 4), doit impérativement être donnée au Premier Ministre et non au gouvernement. Le Premier Ministre n’a pas à être solidaire de projets qu’il désapprouverait et, en sens inverse, si un ministre désapprouve un projet que veut le Premier Ministre, il a toujours la possibilité de démissionner si son désaccord est assez grave pour le justifier.
Mais il faut toujours qu’il y ait une personne précise dotée du pouvoir de décision et de la responsabilité qui va avec. Ce ne peut être que le Premier Ministre même si, ensuite et naturellement, il confie à un ministre, qui est l’auteur véritable du projet, le soin, au nom du gouvernement, de le présenter et défendre devant le Parlement.
Article 95
Le système est insuffisamment protecteur pour les finances publiques. L’obligation de présenter des calculs compensatoires est insuffisante. De surcroît ces calculs sont souvent sans portée car les compensations proposées sont économiquement ou fiscalement absurdes. Dans des moments où la situation exige des efforts difficiles de rigueur, c’est la porte ouverte à la pire démagogie.
Pour l’éviter, il est largement préférable, comme le font par exemple l’article 113 de la constitution allemande et l’article 40 de la constitution française, de réserver au seul gouvernement au moins le pouvoir d’augmenter les dépenses, voire celui de diminuer les recettes. C’est une précaution indispensable contre la démagogie ou l’irresponsabilité, étant entendu, une nouvelle fois, que si le gouvernement abuse du pouvoir important mais nécessaire qui lui est ainsi donné, le Parlement a toujours le ressource de le renverser.
Article 96
Il n’y a aucune raison de prévoir un délai de dix jours pour l’entrée en vigueur des lois. Au contraire, le maintien de la loi ancienne peut donner lieu à beaucoup plus de difficultés que l’application immédiate (il serait absurde, par exemple, qu’un citoyen soit condamné pour avoir commis un délit sous l’empire de la loi déjà abrogée par le Parlement). Il semblerait plus normal de dire que la loi entre en vigueur dès le lendemain, ou à la rigueur le surlendemain, de sa publication au “Riigi Teataja”.
Article 98
On ne voit pas bien ce qui justifie l’interdiction de recourir au référendum pour les traités internationaux. Au contraire de nombreux pays ont eu à se prononcer par référendum par exemple pour l’adhésion à la Communauté européenne. Il s’agit là de décisions rares mais à ce point importantes qu’il est légitime de pouvoir les confier au suffrage universel.
Chapitre 8
Article 106
Même remarque que pour l’article 95.
Guy Carcassonne
3 février 1992